Qu’est-ce qui fait d’un jeu un bon jeu ? par Wolfgang Kramer

J’ai reçu récemment un lien sur un article de « The Games Journal » datant de 2003, écrit par Wolfgang Kramer. Celui-ci donnait son point de vue sur les éléments qui font d’un jeu un bon jeu. Après recherche, je n’ai pas trouvé la version française, alors je me suis mis au travail et voici …

Wolfgang Kramer

Les jeux, c’est une histoire de goûts ! La perception de la valeur d’un jeu dépend fortement des préférences de chacun. Certains joueurs préfèrent les jeux de hasard, d’autres les jeux tactiques, d’autres encore préfèrent les jeux à fortes interactions entre les joueurs. Il y a aussi ceux qui aiment les jeux de réflexes, d’adresse, de mémoire… Cependant pour qu’un jeu soit considéré comme bon ou de peu d’intérêt, ce n’est pas simplement affaire de préférences. Il existe des critères objectifs qui doivent être pris en considération :

L’originalité

Un nouveau jeu doit être original. Il doit apporter de nouveaux éléments ludiques (qui n’ont jamais fait partie d’un jeu), ou, au moins, jamais été utilisés dans cette configuration particulière.

La fraîcheur et la « rejouabilité »

Plus un jeu donnera envie aux joueurs de rejouer, plus il sera bon. Un aspect important de ceci réside dans la propension que possède un jeu à parvenir à paraître différent à chaque partie. Un jeu n’ayant pas cette qualité deviendra très vite ennuyeux. Un bon jeu enthousiasmera à chaque fois les joueurs comme s’ils jouaient pour la première fois.

La surprise

Un bon jeu doit être plein de surprises. Il faut absolument proscrire la répétition dans les enchaînements, la progression et les événements.

L’égalité des opportunités

Au début d’une partie, chaque joueur doit avoir une chance égale de gagner. En particulier, le premier joueur ne doit avoir ni avantage ni désavantage qu’il pourrait conserver jusqu’à la fin du jeu.

L’égalité de chances

De la même manière, cette règle s’applique à la fin du jeu. Chaque joueur doit avoir au moins une possibilité de gagner jusqu’à la toute fin du jeu. Cette possibilité peut être infinitésimale, mais doit exister.

Pas de « King Making »

Le jeu perd de son attractivité si, à n’importe quel moment, un joueur n’ayant plus aucune chance de gagner, peut décider d’une manière ou d’une autre du vainqueur. Ce problème est principalement rencontré dans les jeux de stratégie.

Pas d’élimination prématurée

Tous les joueurs doivent pouvoir être impliqués jusqu’à la fin du jeu ou presque. Personne ne doit être éliminé avant que la fin soit imminente.

Un temps d’attente raisonnable

Rien ne vient plus à bout de l’intérêt des joueurs que de longues périodes d’inactivité durant lesquelles ils attendent leur tour. Les échecs sont cependant un contre-exemple utile : un joueur utilise le temps d’attente pour planifier son prochain mouvement.

Le contrôle créatif

Les jeux qui ne reposent pas sur la chance doivent donner à chaque joueur l’opportunité d’agir sur sa progression et son orientation. Rien n’est plus ennuyeux pour un joueur que d’avoir l’impression que le jeu joue avec lui plutôt que le contraire. Un bon jeu se doit d’être complexe (NDLR mais pas compliqué).

L’uniformité

Le titre, le thème, le format et les graphismes d’un jeu doivent donner une impression d’ensemble.

La qualité du matériel

La longévité, la fonctionnalité et l’attraction visuelle du matériel contribue pour une large part à la perception que l’on peut avoir de la valeur d’un jeu.

Les règles en cohérence avec le groupe cible

Les jeux ne demandent pas tous les mêmes choses à leurs joueurs. Certains demandent des compétences. Il est important qu’un jeu ait des règles cohérentes. Par exemple, un jeu de stratégie ne doit pas pouvoir être influencé par le facteur chance. Imaginez qu’un joueur conçoive un plan, décide d’une séquence de jeu particulière, puis qu’il doive jeter les dés pour réaliser cette action. Ces deux concepts sont clairement opposés (NDLR : dans un jeu de plateau, parce que c’est la quintessence du jeu de rôle).

Bien qu’il semble logique d’attendre d’un jeu que les règles soient cohérentes (avec le type de joueur ciblé), il y a un nombre important de jeux pour lesquels le groupe cible n’a pas été clairement défini. Il est souvent difficile de dire si le jeu est destiné à des joueurs aimant la stratégie, la chance, la combinaison des deux ou à ceux qui aiment les interaction fortes.

Les jeux de hasard doivent avoir des règles extrêmement simples et offrir peu d’alternatives dans les choix des actions, ce qui implique des tours de jeu courts, et un jeu rapide. A l’opposé, les jeux de stratégie doivent offrir un choix abondant à chaque action. Ceci permettra aux joueurs d’exploiter tout leur potentiel. Un joueur doit pouvoir devenir « un maître ».

La tension

Chaque jeu a sa propre courbe de tension. Les périodes de relativement basses tensions doivent être proscrites d’un jeu. Ci-dessous une illustration de courbes de tension classiques :

Ce graphique illustre une courbe de tension linéaire. La courbe du jeu « Game A » est préférable à l’autre car elle commence avec un niveau de tension initial. Pour obtenir cet effet, on peut raccourcir les démarrages verbeux afin de s’assurer que les joueurs portent immédiatement leur attention au jeu, ce qui a pour conséquence indésirable de raccourcir le jeu.

Courbe 2

Ce graphique montre deux jeux avec de multiples pics de tension. Le jeu « Game A » possédant des pics plus fréquents et un niveau bas de tension moins prononcé est meilleur, il n’en sera que plus intéressant.

L’apprentissage et la maîtrise

C’est certain, c’est un avantage pour un jeu de pouvoir commencer très vite et d’être facile à apprendre, et plus un jeu a des règles simples, meilleur il est.  Un jeu gagne aussi à incorporer des éléments familiers aux joueurs. Ces éléments qu’ils rencontrent dans la vie de tous les jours ne sont pas forcément une réplique exacte de la « vraie vie », que la logique soit similaire est suffisant.

Cependant, tous les jeux ne souffrent pas de la complexité des règles. Les joueurs sont plus tolérants à l’utilisation de règles complexes si le jeu leur offre de plus grandes opportunités d’être influencés par leurs actions.


La complexité et l’influence

Les jeux simples et courts doivent avoir des règles simples et courtes. Les jeux complexes quant à eux, peuvent  avoir des règles complexes. Ce concept est illustré par le graphique ci-dessous :

Classement des jeux

La mesure de l’opportunité d’influence qu’un joueur peut avoir sur le jeu est porté sur l’axe X du graphique. L’axe Y, quant à lui, représente la quantification de la complexité des règles du jeu. Après avoir placé quelques jeux dans ce graphique, nous notons immédiatement un espace vide au-dessus d’une diagonale dans la région 1. Tous les jeux se retrouvent sous cette diagonale, dans la région 2. La conclusion inéluctable est que les règles complexes ne sont acceptables qu’à condition qu’elles soit directement corrélées avec la possibilité qu’ont les joueurs d’influencer le déroulement du jeu.

Est-ce qu’un bon jeu aura nécessairement du succès ?

Malheureusement non. Beaucoup de bon jeux, et même d’excellents, ont peu, voire aucune chance de succès. En Allemagne par exemple, il a été tenté à plusieurs reprises de mettre sur le marché Twixt, Acquire et Focus. C’est triste à dire, mais chaque tentative a échoué.

Etre un  bon jeu ne suffit pas à un jeu pour être un jeu à succès. Le jeu doit être présenté au marché de la bonne manière. Le marketing et la publicité sont des moteurs de succès, et encore, même la meilleure stratégie commerciale ne parviendra pas à booster un jeu qui ne correspond pas aux goûts du moment. Les ingrédients spécifiques dont un jeu a besoin pour réaliser un démarrage en grande trombe et continuer à délecter les gens pendant des années, semblent résider dans une opportunité couplée d’intuition et de chance. Je n’aurais jamais anticipé une seconde l’énorme succès de jeux tels que Trivial Pursuit, Magic l’assemblée ou Pokémon.

Tout ceci n’est pas une tentative d’explication de la manière à suivre pour créer un bon jeu. Voyez plutôt cela comme un « guideline » (ou un canevas) à propos des caractéristiques que se doit de posséder un bon jeu.

Je terminerais par ces deux phrases qui résument les qualités d’un bon jeu :

Un bon jeu nous accompagnera toute notre vie. L’attente de rejouer à un bon jeu nous semblera longue.

– Wolfgang Kramer (traduit en français par XSeb74 de la version anglaise traduite par Anne Kramer)

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